4. Désaccord
« Tu voulais voir à quoi ressemble la femme de mes rêves ? La voilà ! »
« Assez classique. Je te pensais plus ambitieux. Et je ne voudrais pas briser tes rêves mais il y a quand même très peu de chance que tu trouves quelqu’un comme ça. J’espère que tu es prêt à te poser avec quelqu’un d’un peu moins idéal »
« Peu importe. Quand j’aurais trouvé quelqu’un, elle sera comme ça à mes yeux.»
« Je te trouve d’humeur bien poétique ce matin. C’est parce que tu n’as pas dormi ?»
« Non, je suis toujours comme ça. Tu ne fais juste pas assez attention»
« En tout cas, tu avances bien. Tes sculptures sont vraiment intéressantes. J’espère qu’elle va te rapporter un petit pactole. Tu n’as toujours pas de toi, et encore une fois, tu vas dormir toute la journée.»
« Ça n’a pas d’importance, je fixe mes propres horaires.»
« Le dépôt-vente n’est pas ouvert 24/24 lui. Et c’est ce qui t’apporte tes maigres revenus je te rappelle.»
« Parfois je te hais.»
« Je crois que tu vas me haïr encore plus.»
« Pourquoi ?»
« Tu te souviens de ta promesse de toujours jeter un oeil sur les factures ?»
« Vaguement.»
« Et bien tu as oublié de les payer. L’huissier est là pour récupérer ce que tu dois à la ville.»
« Y a pas grand chose à prendre. Et puis pour le peu que j’ai, la facture ne doit pas être très élevée.»
« Et si il emporte ton chevalet ou ton atelier de sculpture ?»
« Comme tu l’as dit, je ne pourrais m’en prendre qu’à moi-même, j’avais promise de jeter un oeil.»
« Tu te rends compte que si tu n’as plus de chevalet ou d’atelier, tu n’auras plus de moyen de gagner de l’argent et que ton but d’avoir un toit avant l’hiver va en prendre un sacré coup ?»
« Maintenant que tu le dis... Mais pour l’instant, il a l’air intéressé par la poubelle. Ou la boite aux lettres.»
«J’ai faiiiimmmmmmmm.»
« Ça ne sert à rien de te plaindre. Tu es le fautif dans l’histoire. Il est parti avec quoi l’huissier ? Ton frigo ?»
« Non il est parti avec le kit offert par l’université. Tant mieux pour moi, mais je me demande bien ce qu’il va pouvoir tirer de ça.»
« Personnellement, je n’en ai pas grand chose à faire. L’essentiel, c’est que tu puisses continuer à t’entrainer pour atteindre le but que je t’ai fixé.»
« Tu crois vraiment que je vais réussir à faire rayonner l’art dans toute la région ?»
« L’art et la connaissance. Et oui, je te fais confiance. Je ne t’aurais pas choisi si je ne t’en pensais pas capable.»
« C’est pas gagné pour la connaissance. C’est vide ici.»
« Ils sont peut être tous parti en courant en t’entendant te plaindre. Et puis avec la réputation que tu dois avoir en ville, je ne suis pas sûr qu’ils aient très envie de t’approcher.»
« Quelle réputation ?»
« Je te rappelle que tu vis encore dehors. Et tu ne connais pas beaucoup de monde. Et tu vis de ta peinture et de ta sculpture. Tu dirais quoi toi si la situation était inversé.»
« C’est pas toi qui me disait de ne pas m’inquiéter pour les voisins ?»
« Les gens changent. Ils parlent aussi.»
« On peut ajouter : ‘vit de la cueillette des fleurs sauvages’ à tes activités.»
« Tant que ça me rapporte de l’argent, ils peuvent parler. On verra bien quand je serais riche et que je vivrais dans une grande maison avec piscine. Rira bien qui rira le dernier.»
« Pour ce qui est de devenir riche avec une grande maison, on verra bien. Mais je pense que ta descendance en profitera plus que toi.»
« Parfois, je me demande si tu me fais vraiment confiance comme tu le dis si souvent.»
« Je suis juste réaliste. Je sais comment ça se passe dans votre monde.»
« Ca y est, il recommence.»
« Crois ce que tu veux, mais un jour tu verras bien.»
« Je ne vois pas trop comment tu pourrais me prouver que tout ce que tu dis est vrai.»
« Tu le sauras un jour, j’espère pas trop tôt.»
« On en reparlera.»
« Tu t’es changé ?»
« Il commence à faire un peu froid.»
« Je crois qu’il est temps de rentrer alors.»
« C’est quoi ça ?»
« Ben, mon chez moi ?»
« Depuis quand tu as un chez toi ?»
« Depuis maintenant.»
« Ça a l’air sympa.»
« Te moques pas. Je fais ce que j’ai pu avec ce que j’ai. Mais au moins je ne vais pas mourir de froid cet hiver. T’es pas heureux de savoir qu’on va pouvoir passer plus de temps ensemble ?»
« Très. Ça aurait été tragique tout de même. Je me suis attaché à toi.»
« Ce n’est pas très meublé à l’intérieur. Tu t’es contenté de faire un mur autour de tes possessions ?»
« Tu sais très bien que je n’aurais pas pu faire beaucoup plus. Et puis j’ai passé l’été et l’automne dehors, je peux bien passer l’hiver avec le même mobilier.»
« J’espère que ça va vite bouger. Je ne suis pas sûr que ça attire plus ta future femme que ton camp à l’air libre.»
« Au moins la douche et les toilettes sont à l’intérieur.»
« Oui mais ils sont aussi dans la pièce ou tu dors, fais à manger et peins. La dernière fois que quelqu’un a vécu comme ça dans la région, c’était au Moyen-Âge. Et encore je ne suis même pas sûr que ça ne remonte pas à plus loin.»
« Tu pourrais au moins faire semblant d’être content.»
« Je le suis. Mais j’aurais aimé que ça avance un peu plus vite pour toi. J’ai hâte de voir ce que ça va devenir plus tard. Si tu arrives à trouver une femme avec un peu d’argent, peut être que ...»
« Non mais ça va pas ? Tu veux pas que je me prostitue aussi ?»
« ...»
« Bon idée la sculpture de glace. C’est la saison.»
« Oui j’essaie de gagner ma vie honnêtement.»
« Ah ah. Tu n’as pas peur de te blesser avec cette tronçonneuse ?»
« Je suis un professionnel, je sais ce que je fais !»
« Elles sont où tes lunettes de protection ? Parce que les éclats de glace ...»
« Non mais c’est fini ? Ta nouvelle mission est de critiquer tout ce que je fais ou quoi ?»
« Je te l’ai déjà dis, je me suis attaché. Du coup, je m’inquiète un peu quand je te vois faire quelque chose d’aussi dangereux. Mais dis, moi, tu vas revendre ça comment ? Parce que si le dépôt-vente n’est pas équipé pour revendre des fleurs, je doute qu’il ait de quoi conserver ta sculpture de glace jusque’à ce qu’elle soit vendu.»
« Avec ce froid, il suffit de la laisser dehors. Et puis ils vont organiser un évènement spécial, elles devraient partir assez vite. C’est de saison, les gens vont se l’arracher pour compléter la décoration de leur jardin pour les fêtes de fin d’année.»
« Et tu vas proposer quoi ? Un sapin ? Un lutin ?»
« Non tu verras quand j’aurais terminé !»
« Alors ?»
« Euh... Tu as sculpté un fauteuil de glace ?»
« Ben oui. C’est parfait pour décorer le jardin. Ou un parc !»
« Si tu le dis. Mais je serais toi, je ne resterais pas assis dessus trop longtemps. J’aurais trop peut qu’il fonde sous la chaleur de mon corps et de me retrouver par terre.»
« C’est de la glace très épaisse tu sais. Il faudrait pas mal de temps avant que ça arrive. Et je pense que tu remarquerais les premiers signes. De toute manière, la question ne se pose pas vu que tu n’existes pas.»
« Je te remercie.»
« Mais non ! C’est pas ce que je voulais dire. De toute manière, soit tu es bien qui tu dis que tu es, soit tu es une partie de moi et dans les deux cas tu existes. Tu n’as pas d’existence physique c’est tout.»
« Donc en fait, soit j’ai raison et tu es sain d’esprit, soit j’ai tort mais tu aurais besoin d’aide. Du genre qu’on trouve dans un hôpital.»
« Je pense que c’est mérité. Mais c’est pas très sympa quand même.»
« Euh.... Je suis parti si longtemps que ça ? Tu sors comme ça en hiver ?»
« Non ça s’est réchauffé un peu. Tu sais, le temps de nos jours.»
« Ne m’en parle pas. Tu as abandonné la glace ?»
« Le bois est plus rapide à travailler. Et maintenant que mon travail est reconnu un peu partout, je peux vendre le résultat un peu plus cher.»
« Tu comptes te coucher aussi tard que ce matin ?»
« Je croyais qu’on avait déjà parlé de cela.»
« Fais comme tu veux. Mais j’espère que tu penses aussi au fait que ça sera plus facile de te trouver quelqu’un de bien pendant la journée. Je ne sais pas trop ce que tu pourras trouver le soir. Mis à part les photographes de pacotilles ou des créatures de la nuit.»
« Qu’est ce que tu entends par «créatures de la nuit» ? J’espère que tu ne sous-entends pas ce que je pense ?»
« Je ne sais pas où tu vas chercher tout ça. Pour ce que ce que je voulais dire, je pense que tu le sauras bien assez tôt. Ou plutôt, j’espère que tu ne le sauras jamais de ton vivant.»
« De mon vivant ? Tu pourrais êtres plus explicite ? J’ai l’impression que je vais bientôt devoir investir dans un décodeur.»
« Pas mal le buste. C'est sensé être qui ? Moi ? C’est comme ça que tu me vois ?»
« Non, je te ne vois pas du tout. Ou alors comme moi-même. Mais ne change pas de sujet. Tu n’as pas répondu à ma question.»
« Il a plu ? Il y a une énorme flaque d’eau derrière toi.»
« Tu m’ignores maintenant ?»
« Les chevaux aiment vraiment passer leur temps par chez toi. Tu as vu les trois qui se trouvent derrière toi ? La licorne va peut être faire son retour.»
« Hé ! Toi .... Je ne sais même pas comment tu t’appelles. Par l’Observateur, tu me fatigues aujourd’hui.»
« Tu viens de dire mon nom. Tu vois que tu sais comment je m’appelle.»
« Tout à coup tu m’entends ? C’est marrant ça. Et tu sais très bien ce que je pense de ta théorie sur qui tu es. Et si tu voulais bien t’expliquer. Non parce que c’est une question de vie ou de mort que je te pose là.»
« Tu crois qu’il va neiger cette hiver ?»
« Bon tu me fatigues. Je vais me coucher. Mais ne crois pas que je vais oublier.»