74. Perfect Reflection
« Miroir, miroir, dis-moi qui est la plus belle ? »
« Qui parle comme ça à son miroir ? Qui parle à un miroir d'ailleurs ? C'est pas comme s'il allait répondre.»
« La méchante reine dans Blanche Neige.»
« Blanche Neige ?»
« Blanche Neige. C'est une princesse d'une beauté incroyable. Sa belle mère, la m"chante reine, est une sorcière qui est obsédée par son apparence. Elle a un miroir magique à qui elle demande régulièrement qui est la plus belle du royaume. Jusqu'à ce qu'il lui réponde que c'est sa belle-fille. Alors elle décide de la tuer. Bien sûr, à la fin, elle échoue.»
« Évidemment, elle est méchante. Alice n'aurait pas eu droit à cette comparaison sinon. Et je suppose que dans cette version, elle veut se débarrasser de Bedelia ?»
« Tu vas loin. Je n'ai rien dit contre Alice cette fois. Par contre, je me demande qui se balade encore habillé comme ça à son âge. On dirait une adolescente qui vient de rentrer du lycée, pas une mère de famille qui approche de son anniversaire.»
« Mais c'est bien sûr ! Elle est tellement vieille, elle a passé l'âge pour porter une jupe aussi courte. Sûrement encore une tactique pour nos voler notre immense fortune et la renommée qui va avec notre nom. Quelle cible de choix nous faisons.»
« Rigole, rigole. On verra bien qui rira le dernier. Et cette tenue est parfaite pour attirer sa prochaine proie u ne fois qu'elle en aura fini avec vous. Je la vois bien partir pour un petit vieux, histoire que ça aille plus vite qu'avec vous, même si c'est moins plaisant. C'est en faisant des erreurs qu'on apprend.»
« Tu crois vraiment à tout ce que tu dis ? Parce que de là où je suis, ça paraît plutôt incroyable. »
« Attends encore un peu et tu verras.»
« Je verrais rien du tout. C'est une jeune femme décente qui a apporté beaucoup de bonheur et une superbe fille à mon petit fils. Je n'ai absolument rien à redire. Elle n'a jamais montré aucun signe qu'elle avait des intentions malveillantes.»
« Tic, tac, tic, tac …»
« Mais c'est pas fini, oui ?»
« Maintenant qu'elle n'est plus toute jeune, et que le temps commence à presser, elle va peut-être commettre des erreurs et là, tu verras.»
« Je verrais rien du tout, puisqu'il n'y a rien à voir. Tout ça, c'est uniquement dans ta tête.
« Oui et non.»
« Comment ça, oui et non ? Ça veut dire quoi ça ?»
« Que c'est pas uniquement dans ma tête.»
« Donc t'as des preuves de ce que tu avances ? Ça m'étonnerait quand même beaucoup, tu te serais fait une joie de me les présenter en détail depuis longtemps.»
« Non pas de preuve. Mais je sens quelque chose de bizarre autour d'elle. Comme si elle cachait quelque chose.»
« Et forcément, son secret, c'est qu'elle veut secrètement voler notre fortune. Logique. Ça ne peut absolument pas être un truc un peu plus banal.»
« Banal ? Dans quel genre ?»
« Je sais pas moi. Elle a eu un enfant quand elle était très jeune et elle a été obligée de le placer à l'adoption ?»
« Et depuis, elle regrette tous les jours d'avoir fait ça et elle se demande tous les jours ce qu'il est devenu ?»
« Quelque chose comme ça.»
« Et pourquoi ne serait-elle pas une criminelle recherchée par la police qui serait tout simplement en quête d'une nouvelle identité pour leur échapper ?»
« Pourquoi il faut toujours qu'elle soit la méchante de l'histoire ?»
« Parce qu'à la vitesse à laquelle elle a rejoint la famille, c'est louche ...»
« Ohhhhhhhhhhh !!!!!!!»
« Quoi ?»
« Mais regarde ! Regarde ! »
« Oui, c'est bon. J'ai vu. Et alors ?»
« Elle est parfaite ! Premier essai transformé. Tu vois, je te l'avais dit. Tout y est. Couleur des yeux, cheveux, sens artistique. Elle est juste parfaite.»
« Qui te dit que c'est quelqu'un de la famille ? C'est peut-être une amie de Cordélia ?»
« Bedelia n'est plus dans son berceau et les bébés ne quittent jamais leur berceau sauf s'il passe à l'étape suivante. Et je reconnais tes gênes. Elle a un petit air de famille. Cette petite fille devant nous est forcément ton héritière. Ça et le fait que tu ne laisses pas un invité tout seul comme ça, à cette heure de la journée. En tout cas, Eòin et Elatha ont fait fort.»
« En même temps, vu avec quoi on partait, le contraire aurait été étonnant. »
« Tout peut arriver. Regarde le temps que ça a mis pour qu'Eòin arrive.»
« Trop longtemps. Mais les critères de départ n'étaient pas les mêmes.»
« Exactement. Je vais peut-être ajouter une clause dans le règlement qui stipule que tes héritiers ne doivent épouser que des roux. Aux yeux verts. Pour aller plus vite.»
« Tu veux réglementer nos vies amoureuses maintenant ?»
« Je ne les force à aller avec personne. Je donne juste des conseils pour trouver la bonne personne.»
« Mais tu veux nous empêcher d'aller vraiment avec qui on veut ! Et tout ça pour une couleur de cheveux.»
« Oui, mais c'est ta couleur de cheveux.»
« Et ?»
« C'est moi qui l'ai choisie et j'aimerais bien qu'elle reste.»
« La suite, c'est quoi ? Uniquement des créatifs ?»
« Maintenant que tu le dis ... »
« C'est le grand jour !»
« Comme tu dis.»
« Quel entrain ! Heureusement que les gens qui s'occuperont vraiment de cette ouverture ont l'air un peu plus motivés.»
« Il va leur en falloir de la motivation pour vendre quelque chose.»
« C'est bien ce que je dis. Si tu étais à leur place, je n'aurais pas beaucoup d'espoir. Tu as peur que personne ne vienne et qu'il n'y ait aucune vente dans la journée ?»
« Ça risquerait fort de les décourager.»
« C'est le jeu. Ils ne peuvent pas s'attendre à des merveilles le premier jour. Les clients sont méfiants, ils ne savent pas vraiment à quoi s'attendre ni à qui ils ont affaire. Mais nous, on sait bien qu'il n'y a que du travail de qualité sur les murs, et bientôt, les gens se bousculeront à la porte pour acheter.»
« Ça serait dangereux avec cet escalier.»
« Ha ah ... De l'humour. Mais au moins on dirait que tu commences à y croire.»
« Le sarcasme dans ma voix t'a sûrement échappé.»
« Oui, il a du se perdre en cours de route. Mais tu verras, dans quelques années, qui avait raison.»
« Des années, rien que ça ? Si tu as autant raison pour ça que pour Alice, je dirais même des siècles. On va bien rire.»
« Pourquoi tu veux tant qu'ils échouent ? Je croyais que tu étais fier qu'Eòin prennent des initiatives et volent enfin de ses propres ailes. Tu ne crois pas vraiment en lui en fait ?»
« Je suis content qu'il ait le courage de se lancer et de faire ce qu'il aime. Mais j'ai arrêté de croire aux contes de fées depuis longtemps. Je préfère être réaliste. Il y a de grandes chances qu'ils échouent. Et comme ça, je ne serais pas déçu.»
« Comme tu veux ... »
« Buffet gratuit ! Tu vois, ils ont pensé à tout. Rien de tel qu'un bon repas offert pour attirer le client.»
« OK, il vient pour la nourriture gratuite et ... ? Comment tu transformes ça en vente d'œuvre d'art ? En supposant qu'il ait assez d'argent sur lui pour se payer quelque chose.»
« Une fois qu'il est rentré, un verra à la main, il est coincé pendant quelques minutes. Reste plus qu'à le travailler un peu. C'est là qu'on va voir si ta descendance à ce qu'il faut pour transformer cet essai.»
« C'est machiavélique comme plan. Le client sans défense se retrouve pris au pièce et n'a d'autre choix que de sortir son porte monnaie.»
« Rigole tant que tu voudras. Mais tout le monde a ses faiblesses. Et si tu combines nourriture et gratuité, tu décroches en général le jackpot.»
« Espérons donc que ça va marcher. Pour eux. Sinon, ils auront fait la cuisine pour une bande d’inconnus.»
« Ce qui compte aujourd'hui, c'est de se faire connaître.Tant pis s'il n'y a pas de vente. Il faut juste qu'ils s'installent dans l'esprit des gens comme l'endroit à venir visiter quand ils ont besoin d'habiller leurs murs. Et l'endroit qu'ils vont conseiller à leurs amis quand ils auront les mêmes besoins.»
« En gros : Regardez, on existe est on vends des trucs supers sympas.»
« Tu as tout compris. »
« Reste plus qu'à attendre que des gens arrivent.»
« Ça ne devrait plus tarder.... Maître Renard, par l'odeur alléché…»
« Quoi ?»
« Non rien.»
« T'es vraiment bizarre parfois. Non la plus plupart du temps …»
« Pas du tout ! Mais …»
« Ça serait trop long à expliquer.»
« Et un client, un !»
« Attends, elle a rien acheté encore.»
« Elle est intéressée, c'est déjà une petite victoire !»
« On va voir si elle ressort avec une toile sous le bras.»
« Je suis sûr qu'Eòin peut le faire, il a déjà bien commencé.»
« Si tu le dis.»
« Qu'est-ce qui ne va pas cette fois ? Ma parole, on dirait moi !»
« Je ne suis pas sûr de son chapeau.»
« Tu as porté le même toute ta vie !»
« Pas cette couleur. Je ne peux pas approuver ce choix.»
« Mais c'est le même que le tien. Même modèle et tout. C'est juste que jaune paille, ça n'allait pas vraiment avec son style. La présentation, ça compte aussi beaucoup.»
« Peut-être mais il a brisé la tradition. Et tu insinues que je n'ai pas de style ?»
« Je ne sais pas si on peut parler de tradition si seulement une seule personne l'a suivie. Et puis il porte le chapeau. Juste une couleur différente. J'aime bien moi. Il marque sa différence.»
« Je lui en toucherais quand même deux mots.»
« Et j'espère qu'il ne t'écoutera pas et continuera quand même à faire comme il l’entend.»
« Merci pour le soutien.»
« Parce que tu m'as toujours écouté, toi, peut-être ?»
« ... J'ai l'impression que les rôles s'inversent légèrement et je ne suis pas sûr d'aimer ça.»
« C'est ce qui se passe quand tu restes trop longtemps ici. Tu te mets à critiquer tout et n'importe quoi. Ça occupe et c'est bien plus drôle.»
« Et c'est prévu que tu restes avec nous jusqu'à au moins la dixième génération .... Ça promet !»
« Ah ! J'ai compris leur technique ! La jolie jeune fille s'occupe de ces messieurs et le beau gosse de ces dames. Ils sont pas bêtes les jeunes. Faut se servir de tous les outils à sa disposition pour réussit.»
« Je vois que tu es toujours aussi modeste. Et ridicule.»
« Modeste ?»
« C'est n'est pas ton petit fils le beau gosse dont tu parles parfois ?»
« J'y peux rien si il est gâté par la nature.»
« Et quand tu parles de la nature, tu fais référence à toi-même ? Lui faire un compliment revient un peu à te faire un compliment. Il y a beaucoup de toi en lui.»
« Et c'est moi qui suis ridicule avec tout ça. Ne m'entraîne pas dans tes délires comme ça, s'il te plaît. Et ne me fait pas dire que ce que je n'ai jamais dit.»
« Jamais ? Tu veux parier ?»
« Non, j'ai pour principe de ne jamais parier avec toi.»
« C'est parce que tu sais que tu vas perdre ?»
« Non c'est juste que je veux pas en entendre parler pendant des heures après ça.»
« Des heures ?»
« Oui, pardon. Des jours.»
« Excuse-moi, ce n'est pas moi qui émet des théories complètement tirées par les cheveux.»
« Ah ? Tu veux qu'on parle d'Alice peut-être ? La vénale Alice qui essaie de nous voler notre fortune mais qui ne fait jamais rien pour ?»
« Ma théorie est beaucoup plus fondée que la tienne.»
« C'est une question de point de vue.»
« Vraiment ? Tu crois qu'ils useraient de leurs charmes pour vendre ?»
« Et pourquoi pas ?»
« Cette petite, c'est l'héritière parfaite non ? Et du premier coup ! Tout ce temps qu'on va pouvoir passer à la bichonner au lieu d'attendre encore et encore ... ! »
« Et elle va finir pourrie gâtée et insupportable !»
« Pourquoi donc ? Tu ne vas pas me dire que tu préfères sa cousine ? Elle remplit pas tous les critères ! »
« Et ça serait mal si c'était le cas ?»
« Non, c'est ton droit. Mais dans tous les cas, ce n'est pas elle qui va reprendre le flambeau.»
« Je sais. Et j'aime Bédelia aussi hein !»
« Pourquoi tu crains qu'elle soit pourrie gâtée alors ?»
« Enfant unique, petit prodige, héritière, tout ça ... Ça a de quoi faire tourner des têtes. Surtout avec tout l'attention spéciale qu'elle va recevoir par rapport à sa cousine.»
« En ne deviendra que ce que vous allez faire d'elle. A vous de poser des limites. À vous de faire attention de ne pas en faire trop avec elle. Je connais des enfants uniques qui sont très convenables et inversement, des enfants avec des tas de frères et sœurs mais qui sont exactement ce que tu dis. Ça va dépendre de l'éducation et donc de l'entourage. Je n'ai aucune doute que ta famille devrait s'en sortir sans trop de mal. Et puis sa cousine est élevée sous le même toit, c'est un peu comme si elle avait une soeur.»
« On ne peut jamais rien prévoir à l’avance.»
« Oui, il faut se méfier d'Alice. Elle pourrait essayer de vous mettre des bâtons dans les roues.»
« Ça faisait longtemps ... »
« Et si Alice était là non pas pour profiter de votre fortune mais pour faire échouer notre plan.»
« Ton plan. Et cette théorie est vachement plus crédible que l'autre. Et qui est-ce qui l'enverrait ? Ton jumeau maléfique ?»
« Je ne sais pas.»
« Attends, t'as un jumeau maléfique ?»
« C'est là dedans que partent les bénéfices de la galerie ?»
« Qui a parlé de bénéfices ?»
« Parce qu'ils dépensent l'argent qu'ils ont pas ?»
« Non ils ont utilisé la trésorerie. Mais tu voulais qu'ils en fassent quoi ? Des petites piles pour surélever les matelas ?»
« Ils auraient pu en garder, au cas où. Les factures ne se paient pas toutes seules et elles étaient déjà assez élevées avant les travaux.»
« Je suis sûr qu'ils ne se sont pas ruinés juste pour construire une salle de bain. Mais avoue que c'est plaisant d'avoir quelque chose de joli. Et qui fait fini. Et puis ils commençaient à en avoir sacrément besoin.»
« Ils auraient pu au moins acheter du matériel de qualité, quitte à dilapider ma fortune.»
« Leur fortune. Tout ça ne te sert à plus grand chose depuis belle lurette. Et il ne fait qu'améliorer la plomberie, comme tu le faisais toi.»
« Ils auraient dû acheter quelque chose qui était déjà amélioré.
« Ça lui fait de l'entraînement pour quand ça sera vraiment cassé.»
« Ils auraient dû en acheter qui ne casse pas. Voilà une bonne utilisation de mon argent.»
« Leur argent. Tu ne participes plus à la cagnotte depuis que tu les as quitté. Et quelque chose qui ne casse pas, ça n'existe pas.»
« Ils t'ont payé pout que tu prennes leur défense ?»
« Oui et tous les soirs, je prends un bain dans l'argent qu'ils m'ont envoyé parce que c'est la seule utilisation que j'en ai. J'en ferais quoi d'autre de cet argent ? Je suis juste content de voir qu'ils n'hésitent plus à se faire plaisir. On ne vit qu'une fois, et même si la mort n'est pas la finalité qu'ils pensaient, ils ne pourront pas profiter de tout ça plus tard. T'étais bien content de passer de ton campement à une maison avec quatre murs et un toit. Et regarde ce qu'elle est devenue !»
« C'est pas pareil, je pensais que j'allais mourir de froid.»
« Dans le désert ?.»
« Deux portraits ? Un seul ne suffisait pas ?»
« Il n'était pas sûr de la tenue qu'elle devait porter. Du coup, ils en a fait deux, et ils choisiront après !»
« Y a des privilégiés quand même !»
« Et bien, écoute, fallait en réclamer un deuxième quand tu en avais encore le temps.»
« C'était pas dans mes préoccupations principales.»
« Monsieur avait des choses plus importantes à faire ?»
« Oui, t'empêcher d'inventer encore plus de règles pour rendre la vie de mes descendants encore plus compliquée qu'elle ne l'est déjà.»
« Ce n'est sûrement pas toi qui peux m'en empêcher.»
« Oui, mais je peux te faire parler.»
« Et ?»
« Pendant que tu parles, tu t'occupes pas des règles.»
« Ça, c'est ce que tu crois. Et au niveau des règles, vous n'êtes pas trop à plaindre non plus comparé à certains.»
« J'ose même pas imaginer alors.»
« Évite, ça peut donner la migraine, il paraît.»
« Je ne suis pas sûr de pouvoir avoir la migraine ici. Mais je vais éviter quand même, pour éviter d'angoisser sur ce que tu pourrais nous inventer la prochaine fois.»
« Oui, admire plutôt les progrès de ton petit fils.»
« Je jugerais de ses progrès quand il aura terminé. Pour l'instant, ça ne veut rien dire.»
« Ça semble prometteur pourtant.»
« Il y a encore une marge d’erreur.»
« Ah …»
« Tu sais ce qui rendrait bien ?»
« Non.»
« Des statues. On pourrait même les installer près de nos tombes, plus tard. Pour nous identifier.»
« On va se contenter de ce qu'on a pour l'instant, d'accord ?»